Prologue

Jeudi 9 février 2017


9 jours se sont écoulés depuis mon arrivée dans les Crystal Mountains, où avait lieu le festival Luminate. 9 jours grandioses, magiques, mémorables. On est jeudi, le festival touche à sa fin, la plupart des festivaliers ont déjà levé le camp, et j'attends qu'Alexis soit prêt pour faire de même. Pour patienter et m'éloigner de cette ambiance de "fin de festival" qui me remplit déjà le cœur de nostalgie, je prends le vélo et descends à la rivière. Elle aussi doit se sentir bien esseulée et doit avoir la nostalgie de ces journées à accueillir des centaines de hippies du monde entier, plongeant dans ses eaux revigorantes et s'étalant sur ses bords recouverts d'épaisse végétation si hospitalière. 


Quand j'arrive, effectivement, personne. Je m'allonge nue et à l'abri du vent, sur un large rocher. Entourée par les courants d'eau vive et les cairns montés par les copains déjà loin, je fixe les arbres de la forêt native et millénaire. Et respire. Une petite heure plus tard, je plonge dans l'eau bien fraîche, avant de m'étaler sur l'herbe, sécher tranquillement et me rhabiller. 

Au moment de retourner au camp, je vois débouler un petit couple qui se prépare à pique-niquer. En fait de pique-nique, c'est un véritable festin végan qu'ils me proposent bientôt de partager. Justine et Arthur ("Vous êtes ensemble ? - On est amoureux, oui."), voyagent comme moi, et cherchent à l'issue du festival à s'installer dans une communauté.  

Ils ont déjà entendu parler de la communauté Wilderland, sitée dans la péninsule du Coromandel, où j'ai passé deux semaines marquantes en décembre. 


Je ne la sens pas tout de suite, mais une petite étincelle s'allume dans mon cœur à l'évocation de Wilderland et je me mets à décrire à Arthur et Justine le lieu, ses habitants, son esprit, la beauté et la magie de cet endroit riche et généreux, mais aujourd'hui si vulnérable et nécessiteux après un épisode dramatique sur lequel je reviendrai peut-être dans un projet billet. 

Justine et Arthur m'écoutent religieusement, se regardent, envisagent devant moi la perspective de remonter dans l'île du nord pour se poser là-bas. 


"Si vous faites le choix d'aller à Wilderland, sachez que..." 


Je voulais dire "que j'ai laissé une partie de moi là-bas", mais je ne parviens pas à finir ma phrase, étouffée par l'émotion. De façon totalement inattendue, je fonds en larmes, en proie à ces souvenirs si vifs. 


Justine me prend dans ses bras, je sanglote doucement. 

En écrivant ces lignes, mes yeux se trempent de nouveau. 


Wilderland............



En route pour Wilderland 


Je viens de partir de chez Inger et Doug Dillon, où j'ai wwooffé pendant 2 semaines. Adieux adorables avec Inger qui me dépose sur la Tairua Road, direction plein nord. 


Très vite, une voiture arrive, sa jeune conductrice me toise nonchalamment puis pile quelques mètres plus loin. Deux à peine vingtenaires en maillot de bain dans une voiture en gros bordel me sourient à pleines dents. 

"You looked too nice, I had to stop." Trop mimi. 


"What's your worst experience in hitchhiking?, me demande le gars. 

- Mmmmh, I know you expect some funny and dodgy stories but it actually never happened. 

- You'll see, her driving is much more scary than anything else."

LOL. 

Le petit couple British me dépose à la jonction entre la Road 25 qui va vers l'ouest et la Road 25A qui continue vers le nord.

 

Il fait super beau. Quand il n'y a pas de voiture qui pointe le bout de son capot, je ferme les yeux face au soleil et respire profondément. 

Quelques minutes plus tard, un Van blanc s'arrête. Au volant, un hippie d'une soixantaine d'années, bronzé jusqu'aux os, le crâne dégarni et de longues dreads. 

"Ouair are you goïngn ? 

- Bonjour, vous êtes français ? Je vais à Whitianga. 

- Je parle français, oui."


A. est né en Guadeloupe mais a grandi à Rimouski au Québec. Jusqu'à 17 ans, il a eu une vie de... que je ne souhaite à personne. Puis à 23 ans, il est devenu nomade. Je découvre un type débrouillard, courageux, généreux, conscient, endurant, ouvert, sociable, doté d'humour... Mais déjà, je perçois à la fois les légères manifestations d'un personnage rustre, dur, exigeant, susceptible, hyper réactif. 


Aujourd'hui, et depuis 30 ans, A. fait la tournée des festivals en Europe avec une grande tente orientale qu'il fait fabriquer au Maroc, et il fournit la "chill out zone". Il y vend principalement du thé chai qu'il fait lui-même, ainsi que des gâteaux. Et depuis 18 ans, il alterne avec les festivals néo-zéd pendant l'hiver européen. 

Il vit le reste du temps à 15km avant Whitianga, dans le bush, dans une maison qu'il partage avec (accrochez-vous à vos slips) son ex, le nouveau copain de son ex, l'ex du nouveau copain de son ex, leur fils et petit-fils. Vous avez suivi ? 


"Tu vas à Wilderland ?, me demande-t-il. 

- Euh non, késako ?"


Wilderland, c'est une des plus anciennes communautés organiques de Nouvelle-Zélande, créée en 1962 par un type visionnaire qui a progressivement établi cette communauté tout en haut d'une colline où végétait une ferme abandonnée. Avec les milliers de volontaires venus participer au fil des années, il a dessiné et conçu l'une des premières fermes gérées en permaculture (= durablement à tous les niveaux) au monde. 


Pierre angulaire de la vie permacole : l'indépendance alimentaire et énergétique. Wilderland est décrite par A. comme un trésor de jardins et de vergers nourris richement avec un compost 100% organique (restes alimentaires digérés par des vers, toilettes sèches...). La communauté produit par ailleurs la grosse majorité de l'énergie nécessaire pour se chauffer et s'approvisionner en électricité avec des panneaux solaires et de la combustion de bois. 


Inutile de préciser que mes antennes sont tout ouïes et que je suis passionnée.  


A. est voisin de Wilderland et me dépose au pied de la route qui mène à la colline où il vit, de sorte que je puisse achever ma route direction Whitianga. 


Je suis déjà habitée par la certitude que je vais revenir.


Noël est dans 2 jours, et j'ai enfin ma petite idée d'où j'ai envie de le fêter : en famille, avec les hippies, à Wilderland. 


Je remplis le formulaire en ligne doctement sur la page "Volunteering" du site internet de Wilderland. Il est très détaillé et je soigne ma "candidature". 


Très rapidement, je reçois une réponse enthousiaste et adorable d'un dénommé Arthur, qui m'informe que pendant la période des fêtes, il n'y a pas grand monde à Wilderland, et qu'en conséquence, je suis "more than welcome". Chouette !


Le lieu est décrit en ligne comme "très rustique", je m'attends donc à la première expérience de vie en pleine nature, sans wifi, sans vraie cuisine, sans douche, en tente...


Le 24 décembre 2016, je suis de nouveau sur la route avec tous mes bagages, emmenée par Loïc, dans la famille duquel j'ai passé 2 jours paisibles. On arrive à l'adresse indiquée par Google Maps, il est aux alentours de 17h. Oups, c'est pas la ferme, c'est le magasin de Wilderland... On en fait le tour.. Youpee ! Une fille est justement en train de le fermer, et s'apprête à rentrer à Wilderland dans la foulée. 


La fille s'appelle Stephie, et elle est aussi contente que nous qu'on se soit trouvés : on lui économise en effet 45min de marche à pied pour rentrer à Wilderland. C'est parfait. 


Tour de Wilderland 


Quand on arrive, un premier panneau multicolore indique "welcome home". Je sens un grand sourire dans mon cœur et ouvre grand les mirettes. 

C'est loin du campement rustique que j'avais fini par imaginer : un énorme atelier avec des centaines d'outils, un grand garage avec voitures et tracteurs, des petites maisons en bois, un grand bâtiment principal avec les espaces communautaires : cuisine, salle à manger, bibliothèque, salle de jeux pour les enfants, laverie... DOUCHE !!!

Bon, certes, c'est bien "rustique" et bien bordélique. Les araignées règnent en reines sur des montagnes entoilées et des sols poussiéreux. Mais il y a le wifiiiiiii, youpeeeeee !


Wilderland habite presque toute la colline, laquelle est parsemée d'indénombrables sentiers menant aux caravanes, aux maisons, aux toilettes sèches, aux feux, aux lookouts, aux jardins, aux vergers, aux serres, à l'estuaire, aux rock pools, à la swet lodge (j'y reviendrai plus tard...!) et à une foule d'endroits magiques voire secrets...


Toutes les pancartes, tous les bâtiments, tout est fait main et souvent joliment dessiné et plein de couleurs. Sur les toilettes sèches du Green Neighborhood, au-dessus du message de service funky pour expliquer le mode de fonctionnement, un tag multicolore indique... "made in China"! Lol. 


Je tombe amoureuse de cet endroit instantanément. 


Organisation de Wilderland


La gouvernance de Wilderland est caractérisée par un "Trust" composé par un board de "sages" consultés pour chaque décision importante prise à Wilderland. Le Trust est composé par des actuels résidents permanents (comme Simoe, sa femme et leur fille, qui vivent à Wilderland depuis 5 ans), mais aussi d'anciens résidents permanents, des sommités locales spécialistes de la permaculture, et des mahoris qui veillent à ce que tout ce qui soit entrepris à Wilderland n'affecte pas les communautés tribales ou leur environnement


Les habitants de Wilderland 


C'est un résident permanent, Arthur, qui vit à Wilderland avec sa compagne Claire et leur bébé, qui me fait gentiment la visite de Wilderland et me présente aux habitants qu'on croise. A cette période de l'année, Wilderland est plutôt vide et j'ai la joie d'être accueillie en petit comité, un petit mix de résidents permanents, long-termes ou de volontaires / wwoofeurs. 


Les résidents permanents ont tous leur maison, qu'ils ont aménagée au fur et à mesure avec ingéniosité. La plupart ont leur propre douche et circuit d'eau courante avec eau chauffée aux panneaux solaires, leurs propres toilettes sèches (c'est quasiment un pléonasme), leur propre four à bois et système de chauffage, des terrasses accolées à leur maison, et éventuellement leur lookout, des hamacs dans les arbres, leur petit atelier, et même leur petit potager. 


Habitent aussi à Wilderland les résidents longs-terme, qui sont généralement logés dans des toutes petites maisons plus sommaires : certaines ont l'eau courante (froide) et un peu d'électricité. 

Il y a enfin les volontaires / wwoofers, généralement là pour des périodes de quatre semaines, qui sont installés dans des caravanes, ou dans leurs propres vans ou tentes. 

La population est assez bariolée et diversifiée au niveau des looks et des horizons. 


Il y a Loïc, le hippie français propre sur lui. Les cheveux longs et peignés, les sarouels propres et non troués, les T-Shirts quasiment repassés. Loïc est smart, avenant, amoureux. A Wilderland, il s'occupe des abeilles et récoltes de miel, c'est aussi son boulot en dehors. Résident permanent, Loïc a la plus chouette maison que j'ai vue là-bas, en surplomb de la colline avec vue magnifique sur l'estuaire qu'on peut notamment admirer depuis une grande terrasse ; il y a deux "chambres" dont une cernée par de multiples fenêtres qui donnent l'impression d'être au milieu du bush, il y a une cuisine avec eau courante, gaz et même électricité grâce à des panneaux solaires installés sur le toit. Bien sûr, tout est artisanal, fait de bric et de broc, mais principalement de bois et de tôle. 


Arthur et Claire vivent donc aussi à Wilderland avec leur bébé de bientôt 2 ans, Sivanes (qui veut dire "forêt" dans je ne sais plus quelle langue). Ce sont les hippies des bois, crassous et habillés n'importe comment avec des vêtements si tâchés, troués, déchirés, distendus que c'en est clownesque. Arthur (prononcez Owrseurw) est responsable des jardins et des wwoofeurs et Claire est responsable du magasin de Wilderland. 


En résidents permanents, il y a aussi Simoe, sa femme qui est enceinte, et sa fille dont j'ai oublié les prénoms. Simoe est un grand échalas mince, brun, vaguement barbu, les cheveux courts, super drôle. Dommage qu'il parle si vite car je rate sans doute 50% de ses vannes. Vraiment le genre de mec que tu es content d'avoir dans ta communauté pour mettre l'ambiance ; et ça tombe bien, c'est "l'ancien" de Wilderland, où il vit depuis 5 ans. C'est sa "partner", comme ils disent là-bas, qui fabrique les baumes, huiles, onguents à base de peppermint, de honey, de kawa kawa, de lavanda, de calendula et autres vendus au magasin. Tout est bio, of course.

Ils ont leur maison un peu plus à l'écart. Quand Simoe arrive au "main hall" où il y a la cuisine, la salle à manger, le bureau, internet et tutti quanti, on ne peut pas le rater car il klaxonne comme un taré pour s'annoncer, juste avant de poursuivre sur le même registre tonitruant en lançant des vannes à qui traîne par là. 


Il y a aussi ma chère Caiti, une jolie hippie d'origine australienne très nature (vieilles sapes de seconde-main, peu de bijoux et toujours pieds nus), qui est responsable des marchés à Wilderland et bosse en parallèle dans un restaurant pour gagner quelques sous. Caiti est arrivée à Wilderland il y a un an et demi avec son amoureux de l'époque (Loïc...) et vit aujourd'hui dans sa maison avec S., son actuel partenaire avec lequel "c'est compliqué". Principalement à cause de la drogue. Même si Wilderland est une zone totalement "drug free" depuis sa création, (et cela inclue tabac, alcool, marijuana, le café étant toléré), S. fume. Beaucoup. Beaucoup trop. Nous devenons vite proches avec Caiti tandis qu'elle me raconte ses histoires. Elle est si sage et si mature. Elle m'épate. Et ce d'autant plus qu'elle n'a que 21 ans. 


Il y a Liam, une espèce de blond à poils longs dont je n'ai quasiment jamais entendu le son de la voix. Censé être responsable des cuisines, Liam est surtout le hippie complètement chéper. Sans fumer (du moins, il me semble), il a l'air total azimuté, le regard dans le vague, s'exprimant, et même communiquant très peu. Complètement à la marge des temps communautaires, il se fait ses propres repas, à ses propres horaires. Je n'ai jamais trop compris le "cas Liam", mais ce qui est sûr, c'est qu'il est la preuve vivante d'une immense indulgence de la part des habitants de Wilderland. 


Je veux aussi mentionner Steve, qui m'a fait marrer comme une baleine avec son humour pince-sans-rire le jour où il était responsable des wwoofeurs aux jardins et qu'il a joué pendant une heure le "petit chef" en donnant des ordres assortis de "right ?" à tous les coins de phrases. Grand brun aux cheveux longs (bon, à partir de maintenant, si je ne précise pas, c'est qu'ils ont les cheveux longs, hein), l'air habituellement un peu patibulaire et souvent dans ses trucs... Steve ne tolère aucune photo de lui au point que Ryan en a fait le personnage principal de la biographie secrète des habitants de Wilderland, où Steve était un témoin protégé par la CIA. 


Ryan est comme moi un wwoofeur, il est né à Auckland il y a une trentaine d'années, et voyage depuis 6 ans partout dans le monde. Look plutôt métalleux, on a l'impression qu'il part en teuf tous les jours, avec de vieilles sapes sombres tout terrain et de grosses godasses. Il est malin. Généreux. Gentil. Costaud. Et il est à mourir de rire. On devient potes quasi instantanément. 


Parmi les autres wwoofeurs, il y a aussi Angelika, la prof de yoga toute mimi, avec ses longues jupes gitanes, son tatouage Aum, ses jolis colliers, sa guitare et sa délicieuse cuisine végane et majoritairement crue. Je crois au début que j'ai affaire à une fille maniérée légèrement agaçante, qui parle beaucoup pour ce qu'elle a d'intéressant à dire. Et puis un jour, aux jardins, au détour d'une conversation et en marge de la cueillette de camphre, je réalise que cette fille est généreuse, empathique, sensible, brillante. Je commence à l'aimer et chaque moment supplémentaire passé depuis en sa compagnie n'a fait que grandir l'affection immense que j'ai pour elle aujourd'hui. 


Je vous ai déjà mentionné Stephie, la punk toute tatouée et percée qui dé-teste les câlins, ce qui nous fait tous marrer bien sûr. Végane également, sapée avec des fringues très "fancy", du genre un "onezine" (genre de pyjama / costume une pièce) de tigre rose et noir qu'elle porte comme si tout était normal. Oh et Stephie a un humour qui me fait pisser de rire aussi. 


Oh et ... Il y a aussi Davin, un grand (aux cheveux courts !) bien bâti, les poils clairs sur une peau caramel, né dans les montagnes canadiennes, qui arrive tout droit de Chine où il a démarré la construction d'une maison en permaculture avant de renoncer à cause des blocages politiques et administratifs. Davin est venu à Wilderland pour étudier encore davantage et apprendre à devenir un "real farmer". Son rêve ? "I want to grow food!" Je ne remarque pas tout de suite Davin car il est discret et pas d'une beauté éclaboussante mais le soir de mon arrivée, tandis que nous sommes réunis au coin du feu et que je suis installée auprès de lui, je sens la chaleur sensuelle de ses bras musclés et bronzés, délicatement recouvert d'une flopée de jolis poils blonds. Je décide fermement ce soir-là que je serai, avant de quitter Wilderland, câlinée par le propriétaire de ces bras si sexys. Mon cœur a donc chaviré dès le premier soir pour ce sauvage sensuel qui avait décidé en s'installant à Wilderland qu'il était là pour étudier la permaculture et non pour batifoler,.

Davin m'a évitée et rendue folle pendant des jours. 10 jours, pour être précise. Cela m'a pris 10 jours, du mouron et des cheveux blancs pour parvenir à l'approcher... Mais on n'en est est pas là. 


Une journée à Wilderland 


(J'apprendrai plus tard qu'habituellement, les wwoofeurs sont accueillis tous en même temps, ont le droit à une présentation et visite en règle, ce qui leur évite les quelques jours de flottement qui furent miens, à découvrir petit à petit le fonctionnement de la communauté.) 


Le matin, sauf si l'on est de mission "cuisine", le rv est dans la salle à manger à 7h pour ceux qui veulent pratiquer une petite méditation ensemble, selon une initiative d'Angelika. 

Sinon, le premier vrai rv communautaire est à 7h30. Le petit-déjeuner est, pour le coup, assez rustique, c'est un porridge plus ou moins amélioré avec des fruits (du jardin, bien sûr) et des épices (gingembre, cannelle, clou de girofle). 


La réunion de 7h30 est généralement conduite par Arthur, c'est le moment de se souhaiter une bonne journée et de distribuer les tâches : la cuisine pour le lendemain, le shopkeeping (tenue du magasin de Wilderland qui est donc à 45min à pied en bas de la colline), la manutention pour le magasin, le jardinage, l'arrosage, les récoltes pour le marché, les ventes aux marchés...


Après le petit-déjeuner, à 7h55, Angelika propose également un petit "warmup" en extérieur pour nous échauffer, avec des petits exercices entre le yoga et la gymnastique.


Après le warmup, chacun vaque à ses occupations communautaires (je n'aime pas parler de "travail"). Généralement, c'est direction le jardin, ou "hina hina" en Mahori. Plantage de poireaux, de carottes, récoltes de choux-rouges, de blettes, désherbage de tomates, arrosage d'haricots, ... Il y a une foule de choses à faire et c'est passionnant de voir concrètement le travail et l'intelligence mis en œuvre pour fabriquer et maintenir un sol fertile qui produit tant de nourriture et tant d'excellents fruits, légumes, herbes... 


Je n'ai à Wilderland jamais eu l'impression de travailler, juste de participer à la vie de la communauté, et plus largement à la vie simple et saine sur cette planète. 

J'ai eu les bras, les jambes et les pieds écorchés, asséchés, brûlés, écornés mais si heureux d'être en permanence recouvert de terre, de compost, de poussière, d'eau pure, de verdure et de soleil. 


A 13h environ, les cloches sont sonnées par le ou la Chef du jour. Direction donc la salle à manger pour le repas communautaire, mais avant, un rassemblement un peu ritualisé autour d'un cercle où on se tient tous les mains et on se remercie ou se congratule mutuellement. Pour le repas, pour un massage reçu, pour une initiative que l'un de nous a prise, tout ce qui nous inspire de la gratitude. 


LE REPAS. Pantagruélique. Rien à voir avec le petit-déjeuner. C'est toujours l'occasion pour le dénommé cuisinier de se surpasser. Et c'est généralement un festin à l'arrivée. Une énorme salade du jardin (des dizaines et dizaines d'ingrédients frais à disposition, des légumineuses ultra variées (amarante, pois cassés, lentilles, sarrasin...) et des sauces délicieuses. La présentation aussi est généralement soignée, avec des bouquets de fleurs sauvages, des plats joliment dressés...


L'après-midi, sauf si on est "au shop", aux marchés ou si on est jeudi (le jour du cleaning day), on est libres de faire ce qu'on veut ! S'il fait beau, on se retrouve généralement en bas de la colline, à l'estuaire, pour "chiller", bronzer, se baigner, papoter. Ou alors, on part en excursion : il y en a de belles balades à faire, dans le Coromandel ! Certains en profitent aussi pour cuisiner, faire de la pâtisserie, ou faire un peu de ménage et de lessive, ou faire du yoga, ou lire, ou écrire, ou faire du trampoline, ou faire ou recevoir un massage, ou faire du sport, ou faire du bâteau, etc. 


Le soir, chacun est libre de cuisiner ce qu'il veut avec ses provisions et les lefthovers (restes) du déjeuner. Parfois, des films sont projetés, à l'initiative d'un des habitants, parfois, il y a de la musique pour danser, parfois, il y a des jeux de société, parfois, les musiciens sortent leurs instruments et partent en jam session... A Wilderland, on ne se couche pas très tard. Généralement, vers 22h, le hall est vidé et tout le monde est couché.  


Temps forts et émotions fortes à Wilderland  


La plupart du temps, je suis dans les pattes de mon poto Ryan. 


Avec Ryan, on s'est levés à 5h du matin pour aller admirer un des plus matinaux levers de soleil de l'année, entre Noël et Nouvel An, depuis le kayak qui nous a menés au pied de la colline, sur l'estuaire. Un moment magique. 


Avec Ryan, on a pratiqué des heures l'acroyoga et il s'est révélé le meilleur prof que je n'ai jamais eu (sorry Mélanie !). Avec lui, je suis parvenue à faire le Stradle, la Candle, la Big Candle, le Flag,  la Wonder Woman, la Drop, et même... Le NINJA STAAAAAAAR !!!


Avec Ryan, on a cuisiné ensemble avec amour et vigueur, pendant des heures ! Il adore bouffer autant que cuisiner, comme moi. 


Avec Ryan, on a cueilli des tanjelos pendant des heures sous une pluie battante un vendredi matin pour le marché du lendemain, moi juchée sur ses épaules en tâchant de ne pas me casser la binette. 


Avec Ryan, je me suis tapée des foules de fous rires, car ce mec est hi-la-rant. 


Avec Ryan, j'ai su en last minute ce que c'était que d'être responsable de la cuisine, car personne ne m'avait vraiment expliqué la veille au moment du partage des tâches et que j'étais incapable d'allumer seule le four à bois toute seule à 6h du matin. Finalement, le porridge fut prêt ce jour-là à 7h30 pétantes grâce à la gazinière, mais il était moins une et moi je tremblais encore d'avoir failli tout rater !


Par Ryan, j'ai été réconfortée de longues minutes après m'être prise une "roost" hasardeuse par Arthur sur le thème de la cuisine en bordel tandis que je préparais le repas. "This is a community kitchen, it's unacceptable", m'avait lancé Arthur en passant nerveusement un coup de balais derrière moi. J'étais sous le choc. "Nothing about you, he's just over stressed". Ouf. 


Avec Ryan, j'ai reçu un massage dans l'Hexagone, la grande salle communale au milieu des herbes folles en plein bush, où ont lieu les workshops, formations, et où se trouve une table de massage. 


Avec Ryan, on a fait le meilleur kombucha de l'histoire de Wilderland, avec de la vanille que j'avais ramené de Madagascar en 2012. Pour info, le Scooby (alias le champignon de bactéries qui est à l'origine du kombucha) de Ryan s'appelle Doug. 


Avec Ryan, j'ai passé de longues heures à prendre des bains de soleil et des bains dans l'estuaire pendant nos après-midis farniente. 

Le jour de mon départ, j'ai couru vers lui et sauté dans ses bras, il m'a fait voler comme une plume, et j'ai ri comme une gamine, on s'est étreints comme un frère et une sœur. Je ne l'ai jamais revu depuis, ni reçu de nouvelles. On a continué nos chemins. J'espère qu'il va bien. Et quand je pense à lui, mon cœur, doucement, s'étreint. 


Puisque je parle de mes âm-is, il faut que je vous parle davantage d'Angelika...


Angelika est devenue ma meilleure amie "so far" en Nouvelle-Zélande. 


Avec Angelika aussi, on en a passé des heures à lézarder sur le dock au soleil, à se masser, à cuisiner, à nettoyer les espaces communautaires, à papoter, à se réconforter, à se conseiller, à s'inspirer, à faire du trampoline, à étendre notre linge, à faire du yoga, à rire, à courir... Mais à se taire aussi. Ensemble. 


Avec Ryan, Angelika, mais aussi les autres copains de Wilderland, on a souvent pris la poudre d'escampette pour aller à l'aventure. Balades, randonnées ou sorties plage, ont aussi animé les moments de temps libres. 


Je me rappellerai longtemps, notamment de... 


Cette randonnée WTF et totalement "unexpected", en tongs à moitié pétées (Isa, tes tongs ont bien vécu, encore merci, mais le bush kiwi ne leur a pas trop réussi !). Rando qui s'est finie du coup en mode "bare footing" (pieds nus), complètement en-dehors des sentiers battus, dans les hautes herbes (comprendre 2m de haut) en plein bush,  grimper le long des roches glissantes à flanc de falaise... Tout ça pour trouver une fameuse plage de sable rose qui était censée être à 10min à pied, qu'on a finalement aperçue (de loin) au bout d'1h30 de grimpe sauvage et dangereuse...! 


Ces merveilleux levers de soleil, pour les beaux yeux desquels je me suis réveillée quasiment tous les matins entre 5 et 6h du matin. Parfois accompagnée (Ryan, Angelika, Paula, Davin), la plupart du temps seule humaine face à l'estuaire, au milieu des milliers d'oiseaux. 


Je me souviendrai de l'anniversaire surprise de Paula, qui fêtait ses 23 ans le 1er jour de 2017. Sur une idée de Ryan, nous nous sommes tous cotisés pour lui offrir sa première green stone (un cadeau très symbolique ici), que nous avons tous portée discrètement tout au long de la journée pour l'habiter de toutes nos énergies positives et de notre amitié. C'est moi qui ai glissé cérémonieusement la green stone autour du cou d'une Paula très émue, autour du feu, dans un silence presque religieux, après les joyeux chants d'anniversaire du repas une heure auparavant. 


Je me souviendrai des concerts improvisés et jams sessions avec Angelika aux manettes la plupart du temps, cette fille ayant une voix magnifique et du talent au piano comme à la guitare. 


Je me souviendrai du double anniversaire de l'ex de mon hippie sexagénaire A. (Jennie) et de l'ex du nouveau copain de son ex (Helen), auquel j'ai eu la chance d'être invitée par A. : un repaire de musiciens où les jams se sont enchaînés avec des dizaines d'instruments à disposition, des voix somptueuses, une ambiance détendue et joyeuse, des plats bios aux ingrédients du jardin... 


Je me souviendrai avoir vu progressivement toute la communauté tomber malade, en proie à un virus violent. Je suis restée avec Angelika l'une des dernières survivantes à rester vaillante face à cette épidémie (pandémie ? Je ne sais jamais) qui a fait flancher toute la communauté... Et puis finalement, 5 jours après les premières nausées de Guillaume, je me suis laissée emporter par le tourbillon de la faiblesse contre lequel on ne peut que peu. Résultat : 48h de jeûne et d'inactivité avant de retrouver la forme olympique qui me caractérise. (Entre parenthèses, ce n'était rien en comparaison aux nuits blanches des autres passées à vomir leurs tripes). 


Je me souviendrai de cette journée passée avec Angelika pour mon premier marché à faire ma vendeuse. Une expérience formidable où on a vendu des centaines de jus de tanjelos à des kiwis ravis ! J'étais surexcitée !! 


Je me souviendrai de cette soirée dans la swet lodge (sorte de sauna), fabriquée par les habitants de Wilderland : une petite cabane en bois et en argile avec une cheminée à l'intérieur, des pierres et et un seau d'eau, des bancs pour s'allonger... Ryan s'est occupé de tout ce soir-là : approvisionnement du bois, allumage du feu... Avec Stephie, nous étions allées dans l'après-midi chercher des dizaines de pommes de pin et gratter la sève des conifères pour ajouter des sortes d'huiles essentielles naturelles au sauna. Nous nous sommes retrouvés avec Paula, Stephie, Angelika, Ryan et moi, entassés joyeusement dans la swet lodge, à suer comme prévu et comme des cochons. 


Au bout d'une heure, la tradition est de courir nus jusqu'aux rocks pools. Kesako ? Les rock pools, ce sont d'incroyables petites piscines naturelles situées à une cinquantaine de mètres de la swet lodge, sur le chemin de l'estuaire. Sculptées par la rivière qui rejoint l'estuaire en contrebas, les rocks pools sont au nombre de 3 et sont suffisamment profondes pour s'y plonger complètement après avoir sué pendant une heure... pour se donner du courage, nous comptons jusqu'à 3 avec Stephie et plongeons en même temps. Un bonheur ! 


Retour à la swet lodge pour une session supplémentme suis évertuée à "chauffer" mes camarades pour descendre carrément à l'estuaire la fois suivante et plonger dans l'eau salée. C'est en théorie à 10min à pied en prenant les sentiers, disons 5min en courant, mais il fait noir et les copains craignent de se rafraîchir sur le temps du trajet. J'obtiens néanmoins gain de cause et Ryan et Stephie répondent présents !! 


Hop, nous voilà qui courons au travers des sentiers, remerciant la nature d'Aotearoa d'être aussi hospitalière : rien qui pique ou ne blesse par terre, nous cavalons à grande vitesse direction l'estuaire en toute safitude ! Il doit être environ 22h, il n'y a rarement personne d'autre que les habitants de Wilderland à l'estuaire, surtout à cette heure-là, et heureusement, car Stephie est en sous-vêtements, Ryan et moi sommes à poil. Eh bien arrivant sur le port, BOUM, un couple de kiwis qui venait d'amarrer leur bateau ! 


Fou rire en les dépassant à toute vitesse pour rejoindre le dock situé un peu plus en aval, surtout à cause de Ryan qui n'avait même pas pris de serviette. 


Ce soir-là, je plonge la tête la première dans la mer. La température est douce, on rit, c'est un bonheur. 


Pendant ce temps-là, il est 10h du matin à Paris qui turbine déjà sous un froid glacial, avec ses habitants parqués dans les caisses en plein trafic, dans les boîtes en "open space" (lol) ou dans des clapiers à lapin dont les fenêtres donnent sur d'autres clapiers à lapins. J'y pense vaguement tandis que les vaguelettes giclent sur mon visage trempé et béat de joie simplette. 


Le 31 décembre 2016, j'ai passé à la journée à faire le shop keeping, j'étais un peu impressionnée de devoir tenir la caisse et renseigner les visiteurs toute la journée pour la première fois, et démotivée parce qu'on était samedi, qu'on était le 31, qu'il faisait beau, et que j'aurais préféré 1000 fois chiller là-haut et préparer la soirée du réveillon avec les copains. Et finalement, je me suis mis comme challenge de dépasser les 800$ qui est le max de recettes atteintes en 2016. Je me prends à mon jeu et passe la journée à faire ma vendeuse, à raconter le peu que je sais de Wilderland, des produits... À la fin de la journée, j'ai presque atteint mon objectif !! Je suis rincée mais ravie. 


Le 31 décembre 2016 encore, avant de descendre au magasin, je me prépare un déjeuner ô combien copieux, largement suffisant pour 2 personnes, "just in case". Vers midi, au milieu de ma journée passée seule au shop, un Van blanc familier s'arrête... A. !! Venu me rendre visite !! Trop sympa. Il a du pain frais et des avocats, nous déjeunons ensemble et en profitons pour faire plus ample connaissance. 


Le 31 décembre 2016 toujours, la fin de la journée arrive, j'ai fait du zèle et plus d'une heure de rabe car il est 18h passé (j'ai fait mon max pour atteindre mon objectif !), je grimpe rapidement les 45min pour rejoindre Wilderland. Je m'attends à ce que tout soit déjà prêt pour le réveillon. J'avais mis à tremper des pois chiches la veille et demandé à Ryan de les faire cuire pendant la journée, de sorte que je puisse ajouter un hoummous de compèt' au festin préparé par les copains. 


Quand j'arrive, stupeur : il est près de 19h30, la cuisine est déserte, personne aux alentours. Je n'ai aucune traître idée d'où se trouvent "les gens" mais ce qui est sûr, c'est que rien n'a été préparé pour le réveillon. Le plus fort de la déception étant passé, je me mets à la tâche, bientôt rejointe par Paula qui m'apprend qu'il y a eu du "emergency harversting" à faire. On descend dans les jardins pour récolter de quoi dîner. Personne. Bon... je me sens un peu triste mais fais contre mauvaise fortune bon cœur et remonte à la cuisine. Une grosse heure plus tard, le dîner est prêt, la table est dressée, les fleurs sont sur la table, ... et les convives finissent enfin par pointer leur nez. Ils sont éreintés, fourbus, ils ont passé l'après-midi à récolter des tanjelos pour le marché du lendemain matin. Je file à ma caravane me changer et enfile pour la première fois du séjour ma robe de soirée, je me maquille, me coiffe... évidemment, je suis complètement "overdressed" par rapport à mes hippies poisseux mais je m'en fous. J'ai envie de faire partie du joli décor que j'ai tâché de dresser pour le réveillon. 


Tout le monde se régale, le repas se poursuit joyeusement avec l'anniversaire de Paula, je suis virée de l'évier par Davin qui m'interdit la vaisselle (et c'est heureux). 


N'est pas de réveillon sans musique ! Je demande à Ryan de mettre à disposition son MP3, et une dizaine de minutes plus tard, très belle surprise, un dance floor bigaré se compose au milieu de la grande salle à manger et nous sommes une dizaine à danser comme des petits fous et à se défouler à fond. Parmi les danseurs, Davin, qui a l'air de bien s'amuser et ça me réchauffe le cœur. 


Vers 23h, nous rejoignons les copains qui sont autour du feu, s'ensuit la petite cérémonie de remise de la green stone à Paula... et l'heure tourne. A 23h30, j'ai une idée : plutôt que d'attendre béatement minuit pour se souhaiter mièvrement les vœux, pourquoi ne pas plonger tous ensemble dans l'estuaire à minuit pétante ? Les réactions sont molles. Forcément. L'ambiance "autour du feu" a bien calmé les esprits. Et personne ici ne fait de surenchère sur le thème du Nouvel An à-fêter-absolument-comme-il-se-doit-et-patati-et-patata. 


Il est 23h40. Je remonte au créneau, repropose de descendre à l'estuaire, précisant que l'eau doit être chaude après cette belle journée, que les 20min de descente vont se transformer en 10min si on y va en courant, que ça va être cool... Quelques premiers volontaires encore un peu mous du genou se font entendre. 


Il est 23h45. Mes mous du genou se sont motivés mais tout le monde est encore autour du feu ! J'en rajoute une dernière couche.


Il est quasiment 23h55. "OK. Last call for the midnight swim !! WHO'S IIIIIIIIIIIINNN ???!!!" Surprise. Une personne se lève, puis deux, puis trois, puis en moins de trois secondes, tout le monde commence à courir direction l'estuaire. "GO GO GOOOOOOOOOOOOO !!!!!" 


Nous n'avons que 5min pour rejoindre l'estuaire, en pleine nuit et quasiment sans lumières (le bush ne laisse pas vraiment pénétrer la lumière de la lune). On court comme des dératés au travers des sentiers qu'on connaît par cœur. On court, on rit, on ne s'essouffle même pas, on court, et on rit encore. On arrive au dock, je regarde l'heure, il est 23h59. On se déshabille en vitesse. On s'attrape les mains, face à l'estuaire. Belle ribambelle d'une dizaine de Wilderlandais surexcités désormais. 

Angelika a l'heure exacte et commence le décompte... Il était 23h59 et 51 secondes ! 9 ! 8 ! 7 ! 6 ! 5 ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! PLOUUUUUUUUUF !!!


Quand nous sortons les têtes de l'eau, hilares, une surprise nous attend. Le ciel au loin est rempli d'étincelles multicolores sonores qui s'enchaînent avec fracas. La ville de Whitianga est en train de faire péter ses feux d'artifice du nouvel an sur la plage, à une dizaine de kilomètres de là. Et nous, on est comme des gamins à hurler à chaque nouvelle explosion de couleurs. 


Quand on remonte sur le dock, je lance une grosse tournée de câlins du Nouvel An. On finit tous serrés les uns contre les autres, béats de joie simple d'être là, ensemble, trempés, sous les étoiles, aux premières minutes de 2017. 


Je me souviendrai aussi de cette virée aux Hot Water Beach avec les gars (Stephan, Ryan, Davin et Simoe). Je m'étais incrustée dans la voiture des surfers, tous partis avec leurs planches. Le temps est idéal pour surfer, mais pas pour se baigner ou lézarder sur la plage : il n'y a pas beaucoup de soleil, il y a beaucoup de vent, et il pleuviote même un peu.

Pas grave, je trouve mon plaisir à observer les surfers attrapant les vagues, et tâche de reconnaître de loin mes copains. L'un d'eux doit bientôt renoncer à surfer, sa planche étant trop vieille pour être fonctionnelle. Il revient donc sur la plage, et me rejoint... C'est Davin... Alleluia, je jouis de joie.

Après quelques jours de doutes, il est apparu évident que le beau canadien m'évite soigneusement pour une raison que j'ignore. Les moments où on se retrouve ensemble sont d'une rareté précieuse. Je savoure donc sa proximité. A son initiative, on échange quelques mots, mais en vain. Je ne raffole pas des small talks, et je ne joue pas vraiment le jeu d'une discussion engageante. Alors il me propose :"Do you want to go to the Hot Water Pools?"


Décrite dans tous les guides touristiques comme "le site incontournable à ne pas manquer", j'avais fini par en retenir que c'était "le site ultra touristique à éviter". La géothermie à cet endroit est telle que l'eau sous le sable est tiède à bouillante selon les endroits. 


En dépassant le site en question, où sont agglutinés des dizaines et des dizaines de touristes surexcités, en train de creuser leurs piscines avec des pelles louées aux plagistes, je m'étais confortée dans l'idée que cela ne m'intéressait pas... Sauf à y aller accompagnée de mon grand blond ! 


Au début, je suis sceptique. La perspective d'être entourée par tous ces japonais qui se photographient sous toutes les coutures en riant bruyamment me crispe un peu. Et puis, on pénètre dans l'une des piscines creusées par des touristes, l'eau y est effectivement chaude, c'est très curieux comme sensation. Comme il fait un peu frais, on s'y assoit, et on commence à s'arroser gentiment. Je me sens bien. Je rajouterais bien quelques degrés et un peu plus d'eau dans la piscine. Je devine bientôt où se trouve l'eau la plus chaude et commence à creuser doucement avec mes doigts, en me brûlant néanmoins, inévitablement. "Be careful !!', me lance Davin chaque fois qu'un petit cri indique que je me suis brûlée. Le "thermostat" trouvé, il faut désormais maintenir la température en renforçant les parois de la piscine, qui fuit de partout. Davin emprunte bientôt une pelle et on s'alterne pour creuser tandis que la marée montante menace de tout emporter sur son passage à chaque nouvelle vague. 


Ca y est, on est à fond. On rit comme des gosses, on creuse le plus vite possible, je hurle dès que je me brûle, je crie quand la marée arrive, je saute de joie quand notre rempart a tenu bon... Quand notre piscine est bientôt suffisamment grande et confortable, je m'y allonge de tout mon long. Mes oreilles n'entendent bientôt plus qu'un lointain brouhaha, un puissant clapotis et un doux ronronnement : le mien. Je chantonne de bonheur. Davin est juste à côté. Assis. La piscine reste toute petite et on est serrés l'un contre l'autre dans ce cocon tout doux et tout chaud. 


Même à l'intérieur de la piscine, la marée fait son oeuvre et je me sens bercée par les vagues. Je m'assoupirais presque. Presque. Mes mains flottent doucement à la surface et je réalise que chaque coquine vaguelette emmène ma main droite frôler le bras de mon voisin. Davin reste impassible et ne bouge pas, ne s'éloigne pas. Je laisse faire la nature et son élan, m'inspire de sa douceur et de sa patience. Et je lâche prise. And I go with the flow. And it's beautiful. Je n'en suis pas sûre, mais il m'a semblé percevoir un micro mouvement du côté de Davin qui réveille tout d'un coup tous mes sens. Concentrée désormais sur ce point de connexion que sont les quelques centimètres carrés de nos doigts ballotés, ne bougeant plus d'un cil, j'assiste émerveillée à la douceur de ce doute qui croît : Davin serait-il en train de caresser mes doigts ? 


Oui, je me souviendrai enfin de Davin...


Le dimanche 17 janvier 1017, je passe enfin avec lui une journée complète, en amoureux, sur l'un des plus beaux sites de la Coromandel Peninsula : les Cathedrale Cove. 


Le lendemain, nous sommes aimés de tout notre cœur et de tout notre corps, sur le lookout, en plein bush, face au lever de soleil.


Quelques heures plus tard, je quittais Wilderland pour rejoindre l'île du sud avec mon ami A., celui-là même qui m'avait parlé de Wilderland pour la première fois trois semaines auparavant. Je n'ai plus jamais revu mon amoureux depuis, et n'ai plus de nouvelles depuis non plus depuis plus d'un mois. Je sais juste par Caiti que j'ai revue à Luminate que Davin va bien et que "he miss you"... J'ai toujours ce tout p'tit trou dans le cœur creusé par son absence. Mais ma mémoire est enchantée par son souvenir, l'un des meilleurs de Wilderland. 


Épilogue 


On est le jeudi 23 février. A peine plus d'un mois que j'ai quitté Wilderland ? Incroyable. D'ailleurs, cela fait 3 semaines que je n'ai plus de nouvelles de Davin, qui répond peu ou pas à mes rares messages. J'accepte, et me délecte encore du souvenir de notre connexion passée. La relation s'étiolera ainsi jusqu'à ce que ce souvenir lui-même devienne flou. Et un jour, j'aurai du mal à me remémorer combien je me sentais proche de cet humain redevenu un inconnu parmi des millions d'autres. 


Je profite d'être dans une zone avec wifi illimité pour sans doute la dernière fois avant un bon moment pour poster des photos sur Instagram, faire ma demande d'extension de visa avec mon amie Kera, relire pour la 100ème fois cet article pour le poster avant de partir. 


Mon téléphone sonne et me surprend. Ce n'est pas si souvent. Un coup d'œil sur l'écran : c'est Davin... 


Quand l'image est apparue et que j'ai aperçu sa bouille pleine de bonheur, son regard un peu intimidé mais curieux et amusé, avec en arrière-plan l'historique salle à manger de Wilderland, j'ai fondu. "Good to see you Davin"... <3