XX Juillet 2014, vers 12h.
 
Les deux voitures familiales s'éloignent pour rejoindre Edinburgh en nous laissant derrière elles, seules, au milieu de l'Ecosse. Seules, sans aucun plan pour la journée. Seules, sans aucun plan pour où dîner. Sans aucun plan pour où dormir. 
Nous ? Maÿlis, ma sœur cadette, et moi. 

Quelques semaines auparavant, alors que j'étais en charge de prendre deux allers-retours pour Edinburgh pour Maÿlis et moi pour un trip familial en Ecosse, je m'aperçois que le billet qui nous fait rentrer six jours plus tard que la smala familiale est deux fois moins coûteux. 

Après tout, pourquoi pas prolonger un peu le séjour avec Maÿlis, et passer nos premières vacances ensemble ? Je n'ai jamais vraiment organisé de trip, mais avec un Guide du Routard, un Lonely Planet, les applications Trip Advisor, Couchsurfing, Airbnb, et les conseils du monde entier pour les coins à-voir-absolument, on devrait pouvoir s'en sortir, non ?...
J'en parle à Maÿlis. Maÿlis me fait confiance. Maÿlis est partante. Je prends les billets. 

Sauf que le temps passe et je n'ai fait l'acquisition d'aucun guide, n'ai sollicité les conseils de personne, et continue de repousser le moment où je vais enfin me pencher sur l'organisation de notre extension de séjour. Moi qui suis d'habitude plutôt friande de gestion de projet, quel que soit le projet, je me retrouve pantoise face à la planification d'un projet personnel : des vacances.

Je comprendrai plus tard que je n'avais plus la foi dans ce modèle de préparation au voyage, ultra nomenclaturé, ultra préparé, ultra normé. Que je ne parvenais plus à me tromper moi-même avec cette façon de voyager qui aujourd'hui me semble si vaine et contraire à la Vie. Que mes tripes m'indiquaient une autre voie à suivre. 

Sauf qu'à l'époque, je me mords encore les doigts et m'accable de jugements : paresseuse, mal organisée, irresponsable... et j'en passe. 

Une semaine avant le départ pour l'Ecosse, je n'ai toujours rien prévu et décide de confier bientôt mon désarroi à Maÿlis... que je veux masquer néanmoins avec une pointe de conviction embryonnaire : 

"Et si l'absence de plans était le plan ?"

J'en parle à Maÿlis. Maÿlis me fait confiance. Maÿlis est partante.

Je m'emballe : 
"On ira où notre cœur nous dira. On fera du stop au hasard. On toquera chez les gens pour demander l'hospitalité. On expérimentera un voyage pas comme les autres!" 

Ensemble. 

C'est donc ensemble qu'on adresse un dernier signe de la main aux parents et aux cousins dont les voitures sont désormais définitivement parties. 

"Bon ben.... On y est !"

On se regarde, on rit un peu, je ne sais pas qui de nous deux a le rire le plus franc, ou le plus nerveux. 
Ce qui est sûr, c'est que je sens un petit quelque chose me traverser le corps. Quelque chose de très vif et de très doux en même temps. De curieux, entre l'agréable et l'inconfortable. Une sensation qui invite à la pesanteur, mais aussi au mouvement. Une sensation qui provoque un désir de contemplation, de pause, mais dont je sens qu'elle me remplit aussi d'une belle énergie, sereine et paisible, qui régénère. Une sensation qui me dépasse totalement, c'est évident. J'allai dire... Comme un orgasme, mais en mieux. 

Ce petit quelque chose, que je creuse depuis trois ans, est peut-être un aperçu du bonheur vertigineux d'être libre, et d'être conscient. 

(...)

Que l'aventure démarre !!!
Mais par où commencer ? Nous décidons avec Maÿlis de prendre la route opposée à celle des parents, et commençons à marcher, sacs aux dos. Yahouuuuu !

Il n'y a qu'une seule route, longeant la belle côte écossaise à la faveur d'une météo plus que clémente. La route est étroite et sinueuse. Il n'y a aucun endroit décent où faire du stop. Nulle part où s'arrêter pour les voitures qui, de toutes façons, ne nous verraient qu'au dernier moment. 

On n'en a cure, car il fait beau, que les sacs ne sont pas trop lourds, qu'on a de quoi grignoter pour le déjeuner, et on s'arrête bientôt pour pique-niquer. Je ne sais pas ce qui est le plus savoureux, ce repas champêtre à flanc de falaises avec vue sur mer bleue et belle, ou cet optimisme naissant avec fougue et aplomb. 

On reprend la route. Quelques kilomètres plus loin, je commence à avoir envie de lâcher mon sac, de me poser et de poursuivre la route... véhiculée. Même son de cloche du côté de Maÿlis. 

C'est alors que la route se dégage totalement : plus un seul virage sur une centaine de mètres, et à l'issue de cette voie royale pour faire du stop... Une "passing lane" qui ressemblerait à s'y méprendre... à une aire de stop !
Impeccable. 

On commence à "poucer" quand on aperçoit une première voiture... qui s'arrête, direct !

J'anticipe astucieusement le "Where are you going ?" du chauffeur (auquel je ne saurais répondre) en dégainant la première.
 
La réponse est... ? Bon, disons, une destination. Que je ne connais pas, bien sûr. Pour être précise, je n'en connais ni le nom, ni la direction, ni la nature, ni la distance. 


Quelle qu'elle soit, j'aurais de toutes façons répondu la même chose :

"Awesome! Same for us! Let's go!"

Avec Maÿlis, on monte dans la voiture, surexcitées. 

Un couple de touristes espagnols est au volant. Ils sont adorables et me montrent un plan très rudimentaire qui affiche de jolis dessins de curiosités touristiques grossièrement localisés sur un plan à l'échelle, à l'évidence, non proportionnée pour se repérer. 

On regarde au travers la fenêtre les paysages qui défilent en se jetant des regards en coin de gamines complices qui ont fait une bêtise et n'en sont pas peu fières.

Une heure s'écoule. Les paysages ont changé. On ne longe plus la mer et on a quitté la route principale, roulant désormais au cœur de plaines somptueuses, délicatement vallonnées, et broutées par quelques dizaines de tâches blanches moutonneuses qui se distinguent dans cette immensité verdoyante. 

Je suis extraite de ma rêverie par la vision, à gauche, d'un adorable ruisseau surmonté d'un petit pont de bois qui se poursuit en passerelle enjambant en sillons toute la plaine marécageuse. Je tourne la tête vers Maÿlis pour attirer son attention sur ce paysage enchanteur et aperçoit à droite un cottage pittoresque, tout blanc aux volets d'un bleu côtier qui n'est pas sans me rappeler la Bretagne, les fenêtres débordent de fleurs... et il y a une voiture sur le parking. Je m'entends crier :

"STOOOOP!!! We are arrived!!!"

Le chauffeur pile, interloqué mais amusé. (On les a entre temps mis au parfum de notre "destination".)

On sort nos bagages, on salue nos premiers "hôtes" de voyage, sans savoir encore que grâce à eux, nous allions vivre avec Maÿlis dans cet endroit paumé des aventures mémorables qui allaient marquer à jamais nos chemins de vie. 

C'est le milieu de l'après-midi, je suis hyper confiante et remontée comme un coucou ; et en parlant de coucou, je me dis qu'on pourrait essayer de frapper à la porte de ce cottage si mignon... Et demander l'hospitalité pour le soir-même ? 

J'en parle à Maÿlis. Maÿlis me fait confiance. Maÿlis est partante.

On frappe. 

Je révise mon vocabulaire pour faire une belle phrase dans un beau sourire à la mamie esseulée et sans doute effarouchée qui va nous ouvrir. 

La porte s'ouvre. Et là... Surprise.