Je ne sais pas qui se trouve derrière moi - je n'ai pas la force de me retourner. Mais je ressens dans mon dos une main qui me caresse, à la fois doucement, à la fois vigoureusement. La bienveillance qui anime cette main traverse la douloureuse torpeur dans laquelle je me trouve et me prodigue un soutien infiniment précieux dont je me souviendrai longtemps. 


Quant à moi, je suis secouée de violents spasmes et, tordue au-dessus d'un seau, une main pour me maintenir, une main pour retirer les cheveux de mon visage, je vomis complètement l'un des seuls repas que j'ai pris ces trois derniers jours, à l'issue d'une après-midi horrible, clouée en position allongée. 


Ce soir-là, je vomirai trois fois et me coucherai à 18h, le ventre encore un peu plus vide que d'habitude, épuisée. Le lendemain matin, je suis réveillée à 8h par les chants de l'équipe à bord d'Another Angel. Je saurai plus tard par Brian qu'ils étaient en train de prier pour moi. 


Cela fait trois semaines que j'assiste impuissante à une espèce de burn out physique, en plein coeur d'un des endroits les plus isolés au monde : la côte nord / nord ouest de l'île de Santo dans le Vanuatu. 


Tout le monde à bord est désolé et personne ne comprend ce qui m'arrive. Ni moi non plus. 

Peut-être le mal de mer ? Mais même si le roulis empire manifestement mon état, il y a des jours avec, et des jours sans. Et sur terre, mon état est à peine meilleur. 

Peut-être une intolérance alimentaire ? Mais je ne mange que des aliments bios, locaux, et des plats fait-maison avec amour par Jane...

Peut-être une grosse anémie ? Dans la mesure où je suis privée à bord d'une grosse partie de mon alimentation habituelle (lentilles, légumineuses, quinoa, céréales...) ? Mais les suppléments alimentaires bios de Jane et de la mélasse noire (plus riche aliment en fer) n'y font rien. 

Peut-être une indigestion ? Mais ça fait trois semaines que ça dure et c'est la première fois que je vomis. 

Peut-être une infection bactérienne ? Mais les maux de ventre sont aléatoires et quasi imprévisibles.


L'idéal serait de procéder à des analyses de sang mais le prochain laboratoire d'analyses ne sera pas avant Brisbane... Seules trois choses sont claires :


Je souffre d'une sévère hypotension qu'on vérifie chaque jour. Ma pression artérielle ne dépasse pas 95/60. En conséquence, je suis en permanence en proie à une faiblesse très (très !) inhabituelle, qui parfois me fait vriller les oreilles quand je marche, qui parfois m'empêche même de marcher, de me lever, de me maintenir assise et, dans les pires moments, de parler, d'ouvrir les yeux ou de remuer le moindre petit doigt. Ces moments où je suis comme tétanisée et complètement paralysée, je suis dans un état de semi-coma, inconsciente et incapable même de penser. Et même à l'issue des journées les plus supportables, je me couche chaque soir épuisée et dors entre 10 et 15h par jour !

(Autant dire que ça fait drôle après des mois de forme olympique et de surexcitation énergétique, au point que je me réveillais chaque nuit, mon esprit considérant que 4h de sommeil étaient bien assez pour attaquer une nouvelle journée !)


Matin, midi, soir, je n'ai AUCUN appétit. J'ai férocement envie de goûter aux délicieux plats de Jane mais mon corps affiche un féroce NIET chaque jour, à chaque repas. C'est un crève-coeur. Surtout que je réalise que seul le jeûne m'apporte une forme de soulagement. (Idem, quel changement après tous ces mois à me gaver de plats végans ou végétariens tous plus délicieux les uns que les autres, et généralement cuisinés par bibi !)


Dernier symptôme, mon ventre est de vaguement à extrêmement douloureux, depuis le plexus solaire au nombril, comme une lourde pression, ou un pieux enfoncé dans le ventre dont le moindre mouvement amplifie la douleur par mille. Je comprends bientôt que ce n'est pas le mal de mer dont je souffre mais que le tangage empire mon état, car par réflexe, les muscles du ventre s'activent pour maintenir l'équilibre, et appuient ainsi sur la zone ultra sensible. 


Bref, pour faire court et vulgaire, j'en chie.

Mais je garde curieusement le moral et la patience. 

Car je me suis persuadée que cet épisode arrivait pour une raison. Alors voilà comment j'ai réagi. 


D'abord, bien sûr, il y a eu un long moment d'incompréhension, à voir mon corps, mon meilleur travel mate, le plus fidèle, le plus loyal, péter un plomb et me laisser sur le flanc. Cette période était la plus difficile, car un jour, je voyais mon corps comme un étranger, et un autre jour, je nous sentais colonisés par cette faiblesse qui ne me ressemblait pas et que personne n'arrivait ni à expliquer, ni à contrer. J'en ai pleuré d'épuisement psychologique, de rester clouée sur le bateau, incapable de bouger pour me préparer et rejoindre les autres dans les villages. 


Ensuite, j'ai entamé un travail d'acceptation et d'accueil de ce qui m'arrivait, tâchant de trouver un éclairage spirituel (pensée pour toi, Tamara !). J'ai décidé d'interpréter ce "mal" comme une injonction au repos physique et à l'introspection, à l'issue de 7 mois de voyage sur les routes de Nouvelle-Zélande et d'Australie. Quand je n'étais pas complètement stone, j'ai donc beaucoup réfléchi, médité, passé du temps seule en conscience, observé et analysé les mois passés...

 

Et, surprise, après trois semaines très éprouvantes qui se sont achevées dans les circonstances que j'ai décrites en introduction de cet article, en plein milieu d'une grosse nuit réparatrice... Insomnie !

Je n'avais plus subi une seule insomnie depuis mon arrivée dans le Vanuatu, et dormais d'affilée et d'un bloc jusqu'à 20h par jour !


Réflexe, j'ai attrapé mon bloc-notes, relu toutes mes notes qui démarrent à Mandurah au sud de Perth, quelques trois mois plus tôt, juste avant de décider d'acheter une voiture et de partir en road trip, puis j'ai commencé à écrire. Écrire. Écrire.  


Trois heures plus tard et une trentaine de pages écrites, j'ai accouché... d'un plan pour l'année à venir !


J'ignore encore si le plan de cette fin juillet 2017 sera conforme à ce que j'ai écrit en cette nuit d'insomnie. Peut-être à 100% ? Peut-être à 10% ? Je le saurai bientôt, mais ce n'est pas le plus important. Le plus important, c'est d'avoir un cap, et d'avoir la foi. 


Résultat, après deux jours de jeune complet et surtout après être rentrés au port de Luganville, mon corps se remet paisiblement de ces trois semaines éprouvantes. Je continue de manger peu et de jeûner un minimum de 15 à 20 heures par jours pour ne pas donner trop de boulot à mon ventre. Je dors beaucoup moins. Me sens nettement plus "animée" au point que j'ai eu assez d'énergie pour me mettre en colère hier avec cette histoire de Fly Center qui s'était planté dans la réservation de mon billet de retour à Brisbane.


A l'heure où j'édite et publie cet article, je viens de passer sept heures d'affilée au wifi du Resort non loin duquel se trouve le yatch. Et BIM BAM BOUM, tout est en route pour la suite et je me sens surexcitée, YALLAAAAAAAAAAAH !!!!