Lundi 5 décembre 2016. Réveil à 9h, comme une fleur, comme la veille. 

J'ai fait mes adieux à mon frère Olivier, qui bosse aujourd'hui, mais mon avion n'est qu'en fin d'aprèm. J'ai proposé à John (le Airbnb iranien du vendredi soir, vous vous souvenez ?) de se retrouver pour déjeuner.  
 
L'occasion de mieux connaître John. La première rencontre marquante de mon voyage. 

John est iranien. Et s'est trouvé un jour à 28 ans "au mauvais endroit, au mauvais moment", comme il dit. Depuis, John est dans le collimateur du régime en place (de Ahmadinejad). Torture, puis fuite de son pays avec un faux passeport, et depuis... une vie d'errance. 

Ayant atterri à HK illégalement il y a 5 ans, John attend depuis un statut de réfugié qu'il ne parvient pas à obtenir malgré tous ses efforts. Ce faisant, il n'a aucun droit : il ne peut ni prétendre étudier, travailler ou obtenir un permis de conduire. 

Il végète et se désespère de pouvoir un jour retrouvèrent vie normale, à défaut de pouvoir être en sécurité dans son propre pays. 

John n'est pas exactement l'idée que la plupart des gens se font des réfugiés : il est ingénieur de formation, il a été pompier volontaire, il est très smart, il est spirituel, il aime la poésie, il s'intéresse à tout, il est drôle (plutôt un côté pince-sans-rire que boute-en-train), il a appris à parler et écrire parfaitement anglais (il a même écrit un livre en anglais qu'il a publié je ne sais pas comment en avril de cette année, un roman). Enfin, il percute et il est intelligent. Ah et il est plutôt beau gosse, ce qui ne gâche rien :)

"Je suis conscient de mon potentiel, c'est un affreux gaspillage, je suis comme une Lamborghini prise dans les embouteillages depuis 5 ans."

On a une longue discussion pendant ce déjeuner sur la vie, l'inquiétude, le potentiel de joie d'un moment, les handicaps avec lesquels on doit avancer, etc.

Je me dévoile aussi un peu, à mon tour, et me présente comme une Lamborghini avec tout l'espace possible et imaginable pour foncer... Mais un réservoir à sec. 

Nous nous sommes quittés lorsque j'ai pris le bus, jusqu'auquel il a eu la gentillesse de m'accompagner. 

Quelle tristesse et quel accablement dans ses yeux.... Je m'en souviendrai longtemps !

Et quel système et civilisation de merde, où la sécurité et le confort sont denrées rares et où les obstacles à la circulation, à l'épanouissement sont si nombreux ! Quelle énergie dépensée pour ces milliers de contrôles sur notre identité, notre mobilité (nos mobiles aussi, d'ailleurs), nos mouvements.  
 
On ne se rend finalement compte de notre absence de liberté que le jour où l'on veut en user. 

Tant que tout le contenu de notre programme de vie est "dans les clous", on ne réalise pas qu'on n'avance qu'avec l'accord nécessaire du système qui a circonscrit depuis longtemps notre espace de liberté, depuis notre naissance (on peut difficilement accoucher comme on le souhaite) jusqu'à notre mort (on ne peut pas non plus être enterré où on le souhaite...).

Passeports, visas, ... Tout cela est aisé quand on est français, étudiant certifié ou moins de 30 ans. Pour le reste... Bonne chance.

Alors bonne chance John.