Prologue

C'est le début de l'été 2004. J'ai tout juste 18 ans et je vis à Montréal, dans le quartier de Verdun, près de l'avenue Wellington, avec mon petit-ami, l'adorable Alesha. 
La vie et les jours s'égrènent tranquillement entre mes petits boulots, le ménage et la cuisine, mon amoureux, tout ceci sans souci du lendemain.  
Malgré tout, mon retour en France était prévu pour fin août 2004 ; i
l me fallait trouver une université, et une formation. Mais aucune idée de quoi faire, ni encore moins d'où aller. 
C'est sans doute une des premières fois que j'expérimente alors concrètement le lâcher-prise, la sérendipité et l'accueil de l'intuition. Ce fut d'une efficacité magistrale. Explications.  
 
Un matin, je me suis curieusement réveillée avec la lettre V en tête. Immédiatement, j'ai pensé à ma prochaine destination. Et instinctivement, j'ai commencé à réfléchir aux départements français commençant par un V. "La Vendée". AH NON ! Au secours. J'en sors.  

Je regarde sur la petite liste de départements dans mon agenda papier : le Vaucluse. Je situe ça vaguement dans le sud mais sans certitude. Je consulte la petite carte de France jointe et cherche péniblement le département en question. Je l'ai ! Chef-lieu : Avignon. 
 
Direction cette fois l'ordinateur pour démarrer mon investigation. Wikipédia, Google Images, le site de la ville d'Avignon... Je tombe amoureuse de cette petite ville : les couleurs claires de ses murs, ses ruelles, son centre piéton, son festival, son activité culturelle, ses remparts, son Palais des Papes, son ciel bleu, ses dizaines de petites fontaines et.. OH !!!
Son université. 

Magnifique. Je découvre que l'université d'Avignon est une des plus vieilles de France ; elle est magnifique, en bordure des remparts. Je me jette sur les formations proposées : lettres modernes. AH NON ! Au secours bis, j'en sors bis. 
"Sciences de l'information et de la communication". Wow ça a l'air cool ! Jamais entendu parler d'études en communication. Mais vu que j'adore écrire, parler, rencontrer du monde, ça doit être pour moi. J'en ai la confirmation en regardant le programme : histoire des médias, sémantique, expression corporelle, communication par l'image... OMG je fonce sur les conditions d'inscription. 

Bon, relou, le site est encore en construction, les infos ne sont pas en ligne. 
J'appelle donc le secrétariat de l'université (entre le décalage horaire et leurs horaires pourries, c'est galère, mais j'y parviens). 
La dame me confirme que les inscriptions en ligne ne sont pas possibles cette année à cause des changements liés à l'harmonisation du parcours européen LMD (Licence Master Doctorat). Mais qu'il n'y a pas de souci, que les inscriptions à l'université sont libres et ouvertes, que je peux m'inscrire à mon arrivée jusqu'à mi-octobre. On est en juin, c'est cool, je rentre fin août, j'aurai septembre pour m'installer à Avignon, les cours démarrent à la fin du mois. Nickel. Je me détends. 

Mais plusieurs semaines plus tard, j'ignore pourquoi, comment, un doute me prend. 
Je rappelle le secrétariat. Et là, c'est le drame. Elle percute que la formation que je voulais faire (SIC) était en fait la seule sur dossier (sic), que la sélection est suivie par une examen écrit (sic sic), et que les candidats admis seront avertis par courrier d'ici fin juillet (sic sic sic). 

Génial. On est maintenant mi-juillet, je décide de prendre le taureau par les cornes et de foncer à Avignon. J'avance mon billet de retour (...), je débarque à Avignon et OH SURPRISE, la secrétaire avait également omis de me préciser que l'université fermait ses portes en août. Et plus exactement le 30 juillet, soit la veille (je déconne pas) de mon arrivée. 
Qu'à cela ne tienne, je décide de trouver un appart, de prendre le temps de m'installer, et de faire le siège devant le bureau de la responsable de la formation, Jacqueline Lacoste, dès la rentrée début septembre. 
Et c'est ce que je fis. 

J'ai dû passer environ une dizaine d'heures devant son bureau sans permanence à essayer de la "choper", mettant le pâté pour l'assurer de ma motivation après lui avoir expliqué les circonstances de mon désappointement ; la dame a réservé sa réponse en l'assortissant à la réunion exceptionnelle du jury d'admission ; elle n'avait pas l'air chaude du tout (ni sympa, d'ailleurs) ; j'ai écrit une lettre de motivation carabinée, j'ai assisté en auditeur libre à tous les cours (avec son autorisation), j'ai participé au maximum pour m'intégrer espérant être intégrée pour de vrai, je suis retournée au bureau de Jacqueline Lacotte et ai dû repasser des heures devant son bureau pour la relancer, le jury s'est réuni, elle m'a demandé de me voir à la fin de son cours, m'a informé sans ambages j'avais été admise, AMEN. 

Vendredi 9 décembre 2016


Je suis toujours à Auckland, mais mon humeur a complètement changé. Depuis que j'ai aperçu la voie de sortie, je suis surexcitée. Le voyage va enfin pouvoir démarrer ! 
Antoni m'a informée qu'ils allaient arriver vers midi à Thames et qu'ils allaient profiter de leur apm en ville. On se retrouverait le soir pour dîner ensemble et le lendemain, une rando de 6h était programmée. Cooool !

Ma couchsurfeuse, Sky, regrette de me voir partir. On passe du temps ensemble. On s'entend bien. On avait prévu d'aller ensemble au Concert de Noël à l'Auckland Park puis d'aller danser ensemble ce soir. Vu l'état de mes perspectives encore la veille au soir, elle ne s'attendait pas à me voir partir le lendemain. Elle est un peu déçue. Je trouve ça touchant et décide de passer la journée du vendredi avec elle, à la suite de quoi elle se proposer de me déposer pour partir en stop direction Thames, au sud est d'Auckland. En plus, il fait beau, enfin !

Les choses se compliquent vite : sur le retour de la plage, on est prises dans les embouteillages provoqués par un accident, arrivées chez Sky, celle-ci démarre une longue conversation téléphonique qui dura plus d'une heure alors que j'aurais dû partir sans tarder. 

Quand finalement on décolle de la maison, on est de nouveau prises dans les embouteillages. Ben oui, on est à l'heure de sortie des bureaux (17h), on est un vendredi soir, veille de week-end d'été, et en plus je prends la direction du sud, qui est la plus prisée. 

Je n'ai pas demandé à Sky où est-ce qu'elle comptait me déposait car elle avait l'air de savoir ce qu'elle faisait. J'aurais dû. Je suis déposée non loin de l'Auckland Harbor Bridge, qui rejoint le centre d'Auckland. On a mis 2 fois plus de temps que le bus pour y arriver, bus que j'aurais pu prendre il y a déjà 2h, et bus que je vais de toutes façons devoir prendre pour rejoindre Auckland centre où je prendrai un moyen de transports direct vers Thames car il est trop tard pour faire du stop.

J'arrive à la gare routière et ferroviaire de Brittomart et me renseigne sur les différentes options. Il y a un bus qui est direct (yahou), met moins de 2h (yahouu), coûte seulement 20$ (yahouuu) et part dans... ah, est parti, il y a 1h, prochain le lendemain. ARF.
 
Pas le temps de m'apitoyer, je m'empare fissa du plan B, qui nécessite de toute urgence de quitter le centre-ville, car comme chaque auto stoppeur le sait : le stop en sortie de ville, OUI, le stop en entrée ou intérieur de ville, C'EST MORT. 

Il est 18h35, je suis encore dans le centre d'Auckland, le soleil se couche dans 1h30 environ, le trajet dure environ 2h, il n'est pas direct. Je décide de prendre le train pour Papakura, terminus de la ligne au sud d'Auckland, dont la gare est située à vue de pif sur la carte à quelques centaines de mètres de la Motorway. Il FAUT que je sois prise sans difficultés, car j'estime avoir besoin de 2-3 voitures dans le meilleur des cas. Il FAUT que j'y arrive. 

18h38, je suis dans le train, je grignote la fin de mes chips pour me réconforter, tout en découvrant le train TPV-CQM néo-zélandais, à savoir Très Petite Vitesse mais Cher Quand Même. 
45 minutes plus tard, on arrive enfin à Papakura. Le soleil est bas mais j'ai encore un peu de marge. Je fonce direction de la Motorway. En fait, c'est plutôt 4 km, et avec tous mes bagages, au bout de 20min de marche, j'en ai ras la casquette. Je commence donc à faire du stop plus tôt que prévu pour être rapprochée du carrefour qui mène à l'autoroute. Tant pis si on est encore en plein dans un quartier résidentiel. 
Beaucoup de chauffeurs passent en me regardant d'un air ahuri. Ca commence mal s'ils ont l'air surpris de me voir ici. 
Et puis une voiture s'arrête. Le chauffeur me demande, en quelque sorte, ce que je fous là et où je vais. 

Quelques minutes plus tard, Hassan me dépose non pas à la jonction de l'autoroute que j'avais repérée sur Google Maps (en fait complètement inaccessible pour les piétons), mais sur la première station service sur l'autoroute... avant de reprendre son chemin dans la direction inverse. 
Grâce à lui, je suis au meilleur stop possible. Je n'attends pas très longtemps avant qu'un second gars ne s'arrête. Il va dans ma direction mais, comme je l'avais anticipé, me déposera sur la direction de la Road 2, quand je quitterai la route principale (Road 1) pour Thames. Jimmy m'avance même un peu pour que je sois bien dans l'axe et à un bon spot (une station de bus), juste avant Pokeno. 

Ça y est, le soleil se couche. Petite montée d'adrénaline car les voitures se suivent et ne s'arrêtent pas. 
Je me dis que c'est l'occasion de profiter du coucher du soleil. Et c'est ce que je fais. 
Le soleil a disparu mais il y a encore de la lumière. 
Évidemment, dans le Top 5 des leçons à suivre en tant qu'autostoppeur, avec le bon emplacement et la bonne tenue, il y a JAMAIS DE STOP QUAND IL FAIT NUIT. 
Alors il est vraiment temps que je sois prise. J'envoie ce message très clair à l'univers. 

Eh hop une voiture s'arrête. Le chauffeur ne va pas exactement à Thames mais me déposera à Kapuskasing, à 5km de Thames (cool) à faire en pleine obscurité vers 21h (pas cool). 
Je suis sur le rond-point direction Thames, sous l'éclairage public, il est 21h environ, il me reste 1h pour faire le checkin à l'hôtel. C'est le temps qu'il me faut pour y aller à pied si j'y suis réduite. 

Ca me rappelle la Norvège et le trajet a priori impossible entre Skjolden et Voss, et je me souviens en particulier de cette dernière portion de stop à l'entrée (quasi déserte) du tunnel le plus long d'Europe, sous le lampadaire, à encore près d'une heure de voiture de mon auberge de jeunesse. Et à près d'une heure de la fin du checkin. I did it. 

Alors je "pouce" et pousse le destin à me faire arriver à l'heure. 
Une voiture passe, semble ralentir, me dépasse, fait demi-tour un peu plus loin et reprend le rond-point. Je suis quasiment sûre que c'est pour moi. Indeed. La voiture s'arrête à ma hauteur, un couple d'une cinquantaine d'années. Où que j'aille, ils me déposeront, ils ne veulent pas laisser une jeune femme seule faire du stop la nuit. Et me déposent... Devant le Junction Hotel. Danse de la joie. 

J'accède enfin au wifi, je me connecte pour prévenir Antoni que je suis arrivée et qu'on va même pouvoir dîner ensemble... Il m'a écrit il y a 2h pour me dire qu'ils ont quitté la ville pour la journée avec sa bande, ne seront pas de retour avant tard, et que comme il faisait super beau aujourd'hui et moche demain, ils ont décidé de faire la grande marche prévue pour le lendemain, le jour-même. 

ARF !!! Évidemment, c'est 100% compréhensible et j'aurais fait pareil, mais ça reste une sale nouvelle. 
Je me laisse pas abattre et file faire mon checkin. Antoni m'a dit de réserver dans la chambre numéro 17, ils occupent une petite chambre de 4 où il reste un lit :-)
A la réception, nouvelle mauvaise nouvelle : ils ont attribué "mon" lit à quelqu'un d'autre mais je peux prendre un lit dans la chambre de 6 en face... 

Je suis contrariée, insiste un peu puis laisse tomber, j'ouvre la porte de la chambre 18 et là...